14 avril 2012

Georg Johann Forster (1754-1794) et la fin de la République des Deux Nations

Le grand naturaliste allemand Georg Forster commença sa vie mouvementée très jeune. Dès l’âge de 11 ans, il accompagna son père, Johann Reinhold Forster (1729-1798), pasteur et naturaliste de Gdansk (Dantzig), dans une expédition au bord du fleuve Volga. Ensuite, les deux Forster se rendirent en Angleterre et participèrent au voyage autour du monde du capitaine Cook (1772-75). La publication de "A voyage toward the South Pole and Round the World" lui donna une grande renommée dans toute l’Europe. Grâce à cet ouvrage, Georg Forster est considéré comme un précurseur de la littérature moderne de voyage. Après cinq ans passés à Kassel en qualité de professeur d’histoire naturelle, il accepta la proposition de la Commission d’Education Nationale de la République des Deux Nations (l’Etat polono-lituanien) de diriger la chaire d’histoire naturelle de l’Université de Vilnius, vacante depuis le départ de Jean-Emmanuel Gilibert. Il passa trois ans en Lituanie, tout en obtenant en même temps (1785) son doctorat à l’Université de Halle. La tsarine proposa à Forster de participer à une expédition sur les côtes de l’Océan Pacifique, ce qu’il accepta et l’obligea à quitter Vilnius. Bien qu’il ne passa que trois ans en Lituanie, la science lui doit "Hortus botanicus Vilnensis" et "Diarium Faunae Floraque Vilnensis", deux oeuvres malheureusement restés à l’état de manuscrit. L’expédition ne se fit pas et Forster se rendit en Allemagne, d’abord en Goettingue, puis à Mayence. Au printemps 1790, il effectua un voyage de trois mois sur les rives du Rhin, en compagnie du jeune Alexandre de Humboldt. En 1792, alors que Mayence fut occupé par les Français, Forster, jacobin de conviction, y fut très actif dans l’administration provisoire de la République de Mayence. Il se rendit à Paris pour proposer le rattachement de cette République à la France. Considéré comme un traître et proscrit en Allemagne, il vécut comme réfugié à Paris où il resta très actif politiquement jusqu’à sa mort en 1794, intervenue suite à une pneumonie. Pendant les deux dernières années parisiennes de sa vie, il rêva encore de grandes expéditions scientifiques en Inde, en Perse et en Arabie. La lecture de ses lettres adressées principalement à sa femme Thérèse et publiées dans l’excellent ouvrage "Un révolutionnaire allemand, Georg Forster (1754-1794)", édité et traduit par Marita Gilli (Paris - Édition du CTHS, 2005), permet de constater que jusqu’à la fin de sa vie, il suivait les nouvelles de la République des Deux Nations et entretenait à Paris des contacts avec les émigrés polonais et lituaniens. Dans une lettre datée du 8 avril 1793, il écrivit "Hier, j’ai mangé avec le jeune Custine chez M. que tu as connu en Pologne et qui a épousé la belle P. Elle est à Rome et lui ici. Il y avait aussi d’autres Polonais, parmi eux une jeune princesse Lubomirska. Most a émigré en raison de la chute de la constitution du trois mai ". Dans une lettre datée du 19 mai 1793 : "Mon talent pour les langues est de toutes façons très sollicité ; car je rencontre souvent trois braves Polonais dont j’ai fait la connaissance ici ; Sulkowsky, Ma[l]iszewsky et Nagorsky qui m’aiment beaucoup Je parle un peu polonais. Tous ces gens se plaignent du traité de partage honteux lors duquel on a poussé l’impudence jusqu’à ne même pas alléguer le plus petit prétexte et jusqu’à dire tout de go : "Nous prenons parce que nous le pouvons." Le faible roi a traîtreusement livré à la Russie la Confédération à la tête de laquelle il était et qui, par la Constitution du 3 mai, lui donnait plus de pouvoir que n’en avait jamais eu un roi de Pologne avant lui. Pendant la guerre que les Polonais ont menée contre les Russes et qui a cependant coûté la vie à plus de 25 000 hommes des deux côtés, il a tout fait ce que pouvait un homme vendu à la Russie. La récompense est là ; on va vraisemblablement lui prendre, en dehors de la plus grande partie du pays que les puissance se partagent, le pouvoir sur ce qui reste. Cependant le pauvre homme a bien dû être mené par un petit brin d’honnêteté dans son comportement ; car, ce qui l’a conduit à cela a été la promesse que la Russie paierait ses dettes personnelles. L’ambitieux Félix Potocki, qui a crée la Confédération avec la protection de la Russie et humilié le pauvre roi, est maintenant également la dupe de la Russie, car il avait cru que les cours étaient altruistes et ne prendraient rien ! Maintenant, de puissant magnat polonais libre, il est devenu un simple sujet russe ; car ses biens se trouvent dans la partie russe. Dans toute la Pologne, personne n’est content. Ils se rendent compte de leurs erreurs et tout mûrit pour une révolution dès que la situation européenne en donnera l’occasion." Ces mots prouvent un grand intérêt de Forster pour la situation en République des Deux Nations. Au-delà de l’intérêt politique, c’est sans doute une nostalgie qu’il ressentait. Sa dernière phrase à ce sujet (dans la lettre du 23 juin 1793) fut : "Je peux difficilement penser à Mayence sans me mettre à pleurer, c’est aussi le cas pour Vilna." Remarquons la justesse de son analyse sur la situation politique de l’Etat polono-lituanien au moment des partages. Remarquons aussi que ses amis à Paris étaient des personnages de la grande importance. Parmi eux : Jozef Sulkowki (1773-1798), un brillant officier de la guerre contre la Russie et un insurgé, devenu chargé de mission diplomatique en Turquie par les autorités révolutionnaires à Paris et officier adjoint de Bonaparte, mort en Egypte ; Piotr Maleszewski (1767-1828), fils biologique de Michal Poniatowski, Primat de Pologne, qui fut un homme de lettres et un économiste de grande renommée. Pour en savoir plus, contact : Piotr Daszkiewicz, Muséum national d’histoire naturelle à Paris :
piotrdas@mnhn.fr

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